Nous sommes le 20 septembre 2017 et j’annonce à mes clients que je les « abandonne » pour une semaine !
Mais pourquoi donc ? m’ont-ils dit.

Alors, d’abord, je me présente et mon histoire sera plus claire pour vous !

Je m’appelle Régis, j’ai 54 ans. Je suis chauffeur de taxi pour personnes en situation de handicap depuis maintenant 11 ans (taxi-TPMR).
Mes clients sont des personnes handicapées, plus ou moins, mais plutôt plus que moins. Ils se déplacent en fauteuil roulant pour la plupart ou quelqu’un les pousse, car ils n’ont plus de motricité. Et je les emmène d’un point à un autre en fonction de leur besoin : chez le kiné, l’orthophoniste, à l’hôpital, chez le dentiste… et parfois pour partir en vacances dans la famille !

Bref, je promène mes clients sur tout le département, voir plus ! Chouette métier que le mien !

Et en même temps, j’ai un loisir passion, la batellerie de Loire… Mais qu’est-ce-que c’est ?

Je suis propriétaire d’un fûtreau de Loire, un bateau à fond plat pour naviguer sur la Loire, à Orléans, mesurant 6 mètres de long. Une petite embarcation à moteur et à voile. Là, je m’arrête dans mon récit, car la voile est une aventure à elle seule… Mais nous verrons cela plus tard !

La manière dont j’ai acquis ce bateau nommé Cyré (un clin d’oeil à mon fils Cyprien et à mon prénom !) est une histoire à part entière, que je vous la raconterai peut-être, si vous me le demandez, lorsque nous nous rencontrerons… plus tard…

Revenons au Festival de Loire 2017, j’annonce donc à mes clients que je ne pourrai pas les transporter pendant cette semaine de festivités ! Stupéfaction, désarroi, tristesse se lisent sur leur visage ou sur celui de leur famille. Je leur explique que pendant le Festival de Loire, je vais naviguer avec mon bateau sur la Loire avec d’autres bateaux venus de toute l’Europe ! Un moment magique que j’attends avec impatience tous les deux ans.

Depuis 2003, la tradition batelière est célébrée par la ville d’Orléans pendant le Festival de Loire : une semaine de festivités se déroule sur les quais. Tous les métiers de la batellerie, ceux d’hier et d’aujourd’hui sont représentés et proposent de nombreuses animations : des ateliers de découverte pour adultes et enfants, des jeux et autres concours pour valoriser le patrimoine déjà si riche d’Orléans et de la Loire. Lors de chaque édition du Festival, les marinières et mariniers reçoivent un pays invité. Cette année 2017, l’Espagne est à l’honneur. Des navires de toutes formes et de couleurs magnifiques côtoient des chalands, des toues cabanées, des fûtreaux, tous des bateaux traditionnels de Loire. D’autres animations réjouissent les milliers de visiteurs, comme des expositions, des guinguettes, des balades en bateaux, des concerts, de spectacles de rue, etc. Au total, quelques 300 animations, 700 mariniers, 220 bateaux et 200 exposants font du Festival de Loire le plus grand rassemblement de la marine fluviale !

Chacun s’enthousiasme de me voir aussi heureux de participer à cette nouvelle semaine magique. Et en même temps, je vois bien qu’ils ont envie de partager aussi cette fête. Tout de suite, je m’interroge : mais comment faire ? Comment accéder aux quais avec un fauteuil roulant ? Y-a-t-il un bateau pour leur faire découvrir la Loire ? Un accompagnateur sera-t-il présent pour les aider à monter sur un bateau ? Des horaires sont-ils bloqués pour accéder aux pontons ? Où se situe le point de rencontre ? Bref, de multiples questions assaillent mon esprit et je me donne pour mission d’y répondre.

La principale structure à contacter est le comité qui organise le Festival de Loire et qui dépend de la Mairie d’Orléans. Et là, première déception, rien n’a été prévu pour que les personnes en fauteuil puissent faire du bateau.

Bon, pas grave, j’appelle la Délégation APF du Loiret, l’antenne d’Orléans. Eux aussi déplorent qu’aucune réelle organisation autour du handicap ne soit mise en place.

Je trouve un appui auprès du Lions Club qui met à disposition des visiteurs des fauteuils roulants pendant toute la semaine.

Mais je cherche toujours un bateau pour naviguer avec mes clients… Je fouille sur le net… Je téléphone, beaucoup… et je trouve un passe-cheval, un bateau pour passer les chevaux d’une rive à une autre. Les personnes en fauteuil pourraient alors monter sur ce bateau, comme le font les chevaux. Chouette, j’ai une solution à proposer à mes clients. Bon, certes, être considéré comme un cheval n’est pas glorieux, mais au moins, les personnes en fauteuil pourront monter sur le bateau !

L’embarcation se fait sur la plage à côté du port. Ah ! Oui, mais là, nouveau problème. Un fauteuil ne peut descendre les escaliers vers cette plage et le sable ne fait pas bon ménage avec les roues des fauteuils.

Donc comment arriver au bateau à partir du quai ? Et oui, pour monter sur un bateau, il faut d’abord passer du quai au ponton, puis du ponton au bateau. Et là, nouvelle déception ! Un ponton accessible aux personnes en fauteuil est une gageure.

Bref, vous ressentez bien ma désolation, ma lassitude, face à ce casse-tête. J’ai l’impression d’être dans la maison qui rend fou des 12 Travaux d’Astérix.

Si aucune solution n’est trouvée, je vais en imager une tout simplement. Il nous faut un bateau et un ponton, rien de plus simple ! Un bateau traditionnel de Loire et un ponton accessibles aux fauteuils roulants entre autres, ainsi quel que soit le handicap, la personne pourra faire du bateau.

J’en suis là de mes réflexions, quand, au hasard d’une rencontre, je croise Florence Carré, attachée municipale dans le quartier de l’Argonne. Nous envisageons l’élaboration d’un projet ambitieux : proposer à la mairie d’Orléans d’organiser un chantier participatif, sur lequel un quartier de la ville et une structure de réinsertion professionnelle, comme Kairos Chambord pourraient collaborer.

Kairos Chambord est une association créée en 2013 pour promouvoir et mettre en oeuvre des projets de formation et d’adaptation professionnelle. Les personnes issues de ces formations retrouvent du travail ou partent vers de nouvelles formations plus spécifiques. Malheureusement après quelques échanges, ce projet est abandonné du fait de la complexité de sa concrétisation.

Le Festival de Loire 2017 se termine et pour le moment, aucune solution n’a émergé. Et en même temps, j’ai encore deux ans devant moi pour répondre à cette attente forte des personnes handicapées, de faire du bateau sur la Loire à Orléans.